Carmen by Prosper Mérimée

Carmen by Prosper Mérimée

Auteur:Prosper Mérimée [Mérimée, Prosper]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Nouvelles
Éditeur: Ebooks libres et gratuits
Publié: 2011-06-03T04:00:00+00:00


Nous enterrâmes Garcia, et nous allâmes placer notre camp deux cents pas plus loin. Le lendemain, Carmen et son Anglais passèrent avec deux muletiers et un domestique. Je dis au Dancaïre :

– Je me charge de l’Anglais. Fais peur aux autres, ils ne sont pas armés.

L’Anglais avait du cœur. Si Carmen ne lui eût poussé le bras, il me tuait. Bref, je reconquis Carmen ce jour-là, et mon premier mot fut de lui dire qu’elle était veuve. Quand elle sut comment cela s’était passé :

– Tu seras toujours un lillipendi ! me dit-elle. Garcia devait te tuer. Ta garde navarraise n’est qu’une bêtise, et il en a mis à l’ombre de plus habiles que toi. C’est que son temps était venu. Le tien viendra.

– Et le tien, répondis-je, si tu n’es pas pour moi une vraie romi.

– À la bonne heure, dit-elle, j’ai vu plus d’une fois dans du marc de café que nous devions finir ensemble. Bah ! arrive qui plante !

Et elle fit claquer ses castagnettes, ce qu’elle faisait toujours quand elle voulait chasser quelque idée importune.

On s’oublie quand on parle de soi. Tous ces détails-là vous ennuient sans doute, mais j’ai bientôt fini. La vie que nous menions dura assez longtemps. Le Dancaïre et moi nous nous étions associés quelques camarades plus sûrs que les premiers, et nous nous occupions de contrebande, et aussi parfois, il faut bien l’avouer, nous arrêtions sur la grande route, mais à la dernière extrémité, et lorsque nous ne pouvions faire autrement. D’ailleurs, nous ne maltraitions pas les voyageurs, et nous nous bornions à leur prendre leur argent. Pendant quelques mois je fus content de Carmen ; elle continuait à nous être utile pour nos opérations, en nous avertissant des bons coups que nous pourrions faire. Elle se tenait, soit à Malaga, soit à Cordoue, soit à Grenade ; mais, sur un mot de moi, elle quittait tout, et venait me retrouver dans une venta isolée, ou même au bivouac. Une fois seulement, c’était à Malaga, elle me donna quelque inquiétude. Je sus qu’elle avait jeté son dévolu sur un négociant fort riche, avec lequel probablement elle se proposait de recommencer la plaisanterie de Gibraltar. Malgré tout ce que le Dancaïre put me dire pour m’arrêter, je partis dans Malaga en plein jour, je cherchai Carmen et je l’emmenai aussitôt. Nous eûmes une verte explication.

– Sais-tu, me dit-elle, que, depuis que tu es mon rom pour tout de bon, je t’aime moins que lorsque tu étais mon minchorrô ? Je ne veux pas être tourmentée ni surtout commandée. Ce que je veux, c’est être libre et faire ce qui me plaît. Prends garde de me pousser à bout. Si tu m’ennuies, je trouverai quelque bon garçon qui te fera comme tu as fait au borgne.

Le Dancaïre nous raccommoda ; mais nous nous étions dit des choses qui nous restaient sur le cœur et nous n’étions plus comme auparavant. Peu après, un malheur nous arriva. La troupe nous surprit. Le Dancaïre fut tué, ainsi que deux de mes camarades ; deux autres furent pris.



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